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Métempsychose

Posted on 17 janvier 201917 janvier 2019 by admin

J’avais longtemps pensé à l’existence d’un secret, et un jour, je ne sais sur quelle impulsion, je m’étais décidé.

J’avais vidé toute la pièce, déménagé les meubles, j’avais même rangé tout ce qui dépassait, réduisant à néant ce capharnaüm que j’avais mis tant d’années à organiser…, ou à laisser désorganisé.

Il n’y avait plus que lui et les murs blancs, lui et l’éclairage diffus de la lumière du jour à travers les rideaux, que j’avais choisis blancs, eux aussi.

Je l’avais  installé au centre de la pièce, de manière à pouvoir l’examiner sous toutes les coutures mais curieusement les premiers jours, je n’avais plus osé l’approcher. Il envahissait tout l’espace, me faisait penser à un sarcophage dont le contenu était sacré,  je ne savais plus si j’avais le droit… Il m’intimidait, ou m’impressionnait, je ne sais pas, c’était une sensation étrange qu’il me plaisait de respecter, je n’avais pas envie de précipiter les choses.

Et puis tout d’un coup, je m’étais lancé. Ce n’était quand même pas un bureau qui allait faire la loi chez moi !

J’étais maintenant immobile, les yeux fermés, et me laissais envahir par une multitude de sensations. Je ressentais la certitude d’être enfin présent à un rendez-vous, programmé depuis très longtemps.

Le bois était doux, charnu, semblable à un corps, dont la peau semblait me dire « eh mec, tu ne vas pas gagner si facilement, cherche, prouve-moi que je ne t’ai pas attendu en vain »

Je sentais sa force sous mes doigts, j’étais surpris, je l’avais imaginé plutôt fragile avec ses lignes épurées, et là, pour la première fois, je ressentais tout son côté massif, lourd, âgé, plein de l’expérience que des siècles de vie lui avaient donnée. En même temps, il subsistait étrangement quelque chose de très féminin et je ne comprenais pas bien. Je souriais, tout au plaisir sensuel du toucher, au plaisir de ce corps à corps.

Il semblait amusé, je sentais qu’il ne se laisserait pas faire mais que l’histoire était déjà écrite et qu’il me laisserait au bout du compte percer son secret.

 Je sentais qu’il attendait ce moment depuis longtemps, qu’il était fatigué et impatient. Mais il était le gardien du Graal, il fallait que je me montre à la hauteur.

Les yeux toujours fermés, je m’interrogeai, par où commencer ? Sans y penser, mes mains commencèrent à se déplacer lentement. Je sentais sa douceur au contact de la pulpe de mes doigts, le bois ciré, patiné, je percevais les rainures, les aspérités, toutes les petites irrégularités qui jusque là m’avaient échappées, ou que j’avais oubliées, comme si je faisais à nouveau connaissance avec lui.

C’était doux et sensuel, le bois était vivant, et à nouveau l’étrange sensation de caresser un corps m’envahissait. Mon cerveau vagabondait, quand était-il né, à quoi ressemblait l’arbre dont il venait, qui était la personne qui l’avait délicatement sorti de terre en prenant la peine de lui expliquer qu’il accédait ainsi à la vie éternelle, qui était celui qui avait extrait de lui la planche pour fabriquer le plateau et les rondins dans lesquels les pieds avaient été sculptés, qui était le menuisier ou l’ébéniste qui l’avait caressé pour lui donner la forme qui convenait, et pour le pénétrer des produits qui allaient l’embellir et le nourrir, qui l’avait monté, transporté, protégé ?

Il me semblait que peut-être il s’agissait de l’un de mes ancêtres. Il y avait forcément un rapport étroit avec moi.

Légèrement penché juste au dessus de lui je me laissais imprégner par son odeur. J’essayais d’analyser toutes les informations transmises par mes doigts qui pour l’instant ne se lassaient pas de juste effleurer la surface du bois. Il continuait à s’amuser : « alors vas-tu trouver ? »

Je ne m’attendais pas à découvrir quoi que ce soit  à cet endroit, mais je me laissai aller longtemps au plaisir de cette caresse. Petit à petit, mes mains se rapprochèrent de la tranche du plateau, dont elles épousèrent longtemps les courbes avant d’oser s‘insinuer vers le  dessous. Mes doigts commencèrent à chercher, à bouger indépendamment les uns des autres, en pleine exploration de ce territoire inconnu, que j’avais délaissé jusqu’ici. Qui donc se préoccupe du dessous de son bureau ?

Je me demandais où pouvait bien se trouver le compartiment où était certainement dissimulé un bijou, une bague empoisonnée, un talisman, une alliance, un serment. Ou alors une clé, un plan, une énigme ? Peut-être une lettre, qui serait le témoin d’une ancienne histoire d’amour impossible ?

Je me sentis soudain mal à l’aise, il me semblait confusément qu’il y avait une erreur quelque part, quelque chose qui m’échappait. Ce bureau était un bureau d’homme, je ne connaissais ni son histoire ni son origine, je savais juste qu’il avait appartenu à mon père mais je sentais à nouveau de manière très forte qu’il y avait dans tout cela quelque chose de féminin que je ne comprenais pas. Peut-être à un moment avait-il été la propriété d’une femme, ou avait-il  été en rapport étroit avec une femme ? J’avais le pressentiment que je touchais là quelque chose d’important, d’essentiel.

Sans m’en rendre compte, j’avais ouvert les yeux. L’atmosphère avait brusquement changé, s’était chargée de tension. Comme si soudain il n’existait plus que la peur de laisser échapper la solution, qui semblait pourtant si proche. Il me semblait entendre des cris, vas-y, continue, cherche, ne lâche pas, fais tomber tes barrières, arrête d’avoir peur…

J’essayais de réfléchir, de remettre mes idées en place. J’avais touché quelque chose, c’était sûr, mais quoi ?

 Petit à petit, j’essayai de me calmer et de retrouver mes sensations. Je savais ce qu’il fallait faire : fermer les yeux à nouveau, laisser mes mains travailler à ma place, débrancher mon cerveau, laisser mon corps comprendre tout seul. Une sensation fugitive m’avait traversée, mon esprit rationnel l’avait rejetée immédiatement, je l’avais perdue, il fallait que je la retrouve. Je me concentrai à nouveau sur mes mains. Peu à peu, je sentais la tension dans la pièce s’amenuiser puis disparaître. Tout redevenait possible. Et brusquement…

Et s’il était lui-même une femme ? Toutes ces sensations étranges, les caresses, le trouble qui m’envahissait, la douceur, les courbures, le jeu, la mise à l’épreuve, l’impatience … S’il était une femme, qui avait dissimulé son secret dans les replis de ses vêtements, de ses rainures, de ses compartiments cachés ?

Mon imagination s’emballait, je sentais en moi la peur que disparaisse l’impression ténue de tenir la solution. Je cherchais désespérément qui pouvait être cette femme, je voyais son corps allongé sur une table dans une robe blanche, toute seule au centre d’une pièce aux murs blancs, avec juste la lumière à travers les rideaux que quelqu’un avait choisis blancs, eux aussi.  Aurais-je recréé la scène de sa mort sans le vouloir ? Etait-elle revenue vivre sous la forme de ce bureau, depuis des siècles dans l’attente que son amant la reconnaisse ?

Mais alors, quel rapport avec moi ?

Sans y réfléchir plus longtemps, ma main se glissa  brusquement sous le bureau, juste à l’endroit où se rejoignaient le pied avant gauche et la naissance du plateau.

Mes doigts s’immobilisèrent. Le petit grain de beauté était là.

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