Nom : Limier
Prénom : Thierry
Date de naissance : 8 août 1960
Au début …, c’était le début !
Le début d’un truc qui, sans compter les années bissextiles, dure depuis 56 ans, 10 mois, 17 jours, 7 heures, 28 minutes et 17 secondes.
Je tiens beaucoup à ces 17 secondes de non-bonheur qui résument à elles seules une partie non négligeable de ma vie sexuelle … (mais ça, c’était avant ! si je peux me permettre cette précision, non dénuée d’intérêt, enfin moi je trouve …).
Bref !
J’écris ce texte devant ma télévision, où trois vieilles canailles percluses d’arthrose essaient de ne pas se casser le col du fémur en direct. Trois vieilles badernes dont deux sont quasi squelettiques toutes raides dans leurs costumes noirs, et dont je ne voudrais, même gratuitement, ni le foie ni les poumons. Emouvants, un peu pathétiques, un peu mièvres, un peu ringards même, ils sont heureusement accompagnés de musiciens géniaux, qui malgré tout forcent peut-être un peu sur les cuivres, que je n’aime pas trop d’habitude.
Pourtant ce soir ça me plait bien, je passe une bonne soirée, mais je l’avoue, Lou Reed et David Bowie me manquent ! Alain Bashung aussi !
Au début, donc, il y a un bébé. Un bébé qui, à force de tétées goulues (j’ai toujours bien aimé manger), assassine en l’espace de 6 mois les caractères sexuels secondaires de sa mère.
Six mois d’enfer selon elle, six mois qui m’ont fait détester le lait à tout jamais et qui depuis ont fait la fortune des dentistes, orthodontistes et autres spécialistes en implants dentaires.
J’avoue d’ailleurs que ça me déprime un peu de penser que je me lève le matin pour gagner de quoi m’offrir des couronnes en céramique, juste pour éviter que le métal remboursé sécurité sociale ne me fasse plaquer au sol par deux ou trois malabars au passage des portiques d’aéroport.
Mais je m’égare !
Quoique cela me fasse penser que paradoxalement j’adore les seins des femmes, ce qui me rassure finalement, et rassure aussi certainement Sylviu qui stresse depuis 2 semaines à l’idée d’avoir peut être à partager ma chambre ce WE …
Bref, à 6 mois donc, ce bébé découvre qu’il a la capacité de tuer, et se dit que ce serait idiot de ne pas en profiter.
Il décide donc d’apprendre l’anglais et comprend rapidement que 3 mots suffisent : Struggle for life !
La lutte pour la vie !
D’où colères, caprices, pleurs, rétention fécale et j’en passe, histoire de montrer qu’il existe et de faire regretter à ses parents d’avoir négligé les cours sur la contraception.
Parents qui sans sourciller continuent à faire l’autruche et qui profitent d’une fête sans doute bien arrosée en février suivant pour faire le second, puis un peu plus tard le troisième, la quatrième et la cinquième, née jour pour jour 6 ans après moi.
54 mois de grossesse sur 72, soit exactement 75 % du temps pendant 6 ans, ça fait quand même un peu peur !
Je comprends pourquoi ma mère par la suite, a activement milité en faveur de la castration obligatoire.
Sans succès d’ailleurs puisque 3 ans plus tard le numéro 6 pointait le bout de son nez.
Mais revenons à nos moutons !
Toutes ces naissances, bien sûr, ne font pas trop l’affaire de ce bébé (le plus beau bébé du monde soit dit en passant), qui commence dans sa tête à réfléchir à l’extermination des intrus (j’ai oublié de préciser qu’il était aussi très très intelligent).
Tout d’abord, tuer les nouveaux venus, parfois prosaïquement en les poussant dans l’escalier, mais le plus souvent à l’aide de stratégies machiavéliques comme chercher à se faire valoir, chercher à mieux se faire aimer que les autres, dévoiler insidieusement leurs faiblesses, prendre très au sérieux son rôle d’ainé, sérieux et responsable, bien travailler à l’école pour devenir aussi fort que Papa (même si je dois dire que cette dernière velléité m’a assez vite passé).
Fort de cet objectif, il entreprend de suicider le petit garçon en devenir et se montre particulièrement habile pour faire disparaitre ses propres envies, ses désirs, ses aspirations, son enthousiasme, la recherche du plaisir.
Un peu plus tard, il assassinera ses envies d’écrire, de faire du théâtre, du cinéma, de la photo, du chant, de la danse.
Tu seras vétérinaire mon fils !
Plus tard encore, il tuera la mère de ses garçons.
Et par-dessus tout, il passera sa vie à essayer de tuer les petites voix dans sa tête qui lui crient qu’il se trompe.
Faute de pouvoir complètement exterminer celles-ci, il les enfermera pendant des siècles dans une partie bien cachée de son cerveau, et pour être certain de ne pas en retrouver le chemin, il tuera à petit feu ses organes, devenus addicts à l’alcool, au tabac, et au spleen.
50 ans après ce 8 août 1960, le bébé est toujours un bébé, même si comme tout homme qui se respecte, il a consacré toutes ces années à construire un tas de choses.
Il a une belle maison (enfin plus précisément la Caisse d’Epargne a une belle maison), un roadster Mercédès qui collerait la diarrhée verte à Sylviu, et une profession qui fait rêver (quel beau métier vous faites là docteur !).
Il n’a plus de femme par contre, peut-être à cause de cette histoire des 17 secondes, mais peut-être pas.
En dehors de la relation précieuse et bénie des dieux qu’il a avec ses enfants, à qui il a curieusement essayé de donner d’autres valeurs, il se sent vide. De temps en temps il fantasme sur un cathéter, une perfusion, des barbituriques.
Un jour, par de troubles circonstances qui avaient pris la forme d’un aéroplane trop lourd pour voler, il rencontre une fée des temps modernes, une de celles qui avait oublié de se pencher sur son berceau et qui avait donc beaucoup à se faire pardonner.
Au début, il se méfie un peu, elle est blonde, …. comme Maman.
Elle lui propose des trucs saugrenus, à base d’ancrages, de zone de confort, de pire du pire, de tabourets à 3 pieds, de ¼ d’heure de bonheur, d’auto-hypnose où son bras se transforme en patte de rapace, sans parler des séances où elle s’amuse à faire bouger ses yeux.
Elle lui donne même des devoirs à la maison, qu’il a beaucoup de mal à faire, ou qu’il ne fait tout simplement pas, on ne se refait pas !
Et pourtant si, tout est à refaire.
Le déclic vient un peu plus tard, lorsqu’elle lui propose de venir travailler collectivement avec d’autres personnes.
Englué dans ses problèmes personnels, il n’en comprend pas immédiatement l’intérêt, il lui faut quelques mois pour accepter de laisser ses carapaces se fissurer, accepter de se découvrir et de s’ouvrir à celles et à ceux qui sont autour de lui, accepter de donner et surtout accepter de recevoir.
Peu à peu, il prend conscience de son passé d’assassin et décide de commencer sa déprogrammation.
Cela prendra quelques années, au cours desquelles il affrontera ses démons chaque mois, dans une salle peuplée de guêpes qui piquent.
Chaque séance est suivie de plusieurs nuits et jours difficiles, rêves, déprime, découragement, espoirs, moments de paix, apprentissage du pardon, révélations.
Il s’attache aux personnes qui sont autour de lui, et qui partagent le même chemin, pour rien au monde il ne manquerait une soirée en leur compagnie.
Il n’est toujours pas très assidu par contre en ce qui concerne les devoirs à la maison, raison pour laquelle sans doute il s’apprête à attaquer une 5è saison.
Aujourd’hui, le bébé a presque 57 ans, et il n’est plus un bébé.
Aujourd’hui, à 56 ans, 10 mois, 23 jours, 21 heures, 19 minutes et toujours 17 secondes, je ne suis plus un bébé, et je suis là, avec vous.
Peut-être même suis-je devenu un peu sénile, puisqu’à l’instar des 3 vieux schnocks en costume du début de cette histoire, je peux vous dire les yeux dans les yeux que je vous aime (paroles : Jean Philippe Smet, musique : moi).
Aujourd’hui, à 56 ans, 10 mois, etc etc, j’ai appris à faire chauffer mes choix et à en assumer les conséquences, agréables ou non. J’ai appris à me débarrasser du passé, à me débarrasser de la peur de l’avenir et, révélation d’entre toutes les révélations, j’ai découvert la toltèque way of life.
Mais surtout, surtout, j’ai appris à écouter mon désir d’un nouveau projet de vie, choisi et élaboré par moi tout seul, même si parait-il Mercure ou Saturne envisagent de me mettre quelques bâtons dans les roues.
Grâce à ma jolie fée des temps modernes, grâce à vous qui m’avez offert de partager ce qu’il y avait de plus secret en vous, et grâce à moi qui ai un peu travaillé quand même, mon état civil a changé.
Nom : Limier
Prénom : Thierry
Date de naissance : 8 août 1960 Signe particulier : reprogrammé pour vivre