Elle avait choisi une robe d’été à bretelles, noire, très simple. Pas de sous-vêtements. Ni culotte, ni soutien-gorge.
Encore quelques minutes et elle serait prête.
Le miroir de la salle de bain lui renvoya l’image de l’homme étendu sur son lit. Nu, il semblait dormir. Elle ferma les yeux et se concentra quelques instants sur sa propre respiration. Elle devait rester calme.
Les dernières semaines avaient été éprouvantes. Eprouvantes et excitantes. Après des mois de recherche, elle avait enfin réussi à retrouver sa trace. Via Internet, sur un site de rencontre. Tout simplement !
A partir de là, tout avait été facile, presque trop. Avec l’aide d’une amie, qui avait bien voulu jouer le rôle d’appât, et de quelques cocktails, généreusement chargés en barbituriques, il était enfin là, dans son lit. A sa merci.
La soirée n’avait pourtant pas très bien commencé. Elle avait eu du mal à insérer la petite canule intra-nasale qui devait lui permettre de respirer une fois connectée à l’appareil d’anesthésie. Elle ne savait pas exactement pourquoi elle l’avait branché comme ça, ce n’était pas la solution la plus simple. Mais il y avait quelque chose dans sa bouche qui lui plaisait, elle voulait la garder intacte pour la suite.
Elle sortit de la salle de bain, s’approcha du lit et posa un doigt sur ses paupières. Pas de réaction. Distraitement, elle laissa sa main glisser sur le visage endormi pendant qu’elle vérifiait du regard les écrans de contrôle. Fréquence cardiaque, tracés des monitoring, taux de saturation en oxygène, bref, tout ce qui lui permettait de contrôler qu’il était encore vivant. Tout était OK, sa respiration était stable et son cœur battait régulièrement.
Elle s’était toujours demandé pourquoi on utilisait le même terme pour parler de deux choses très différentes. Le cœur ! C’était bien de la foutaise !
Elle avait préparé une liste de lecture dont le premier morceau était une histoire d’astronaute qui disparaissait dans l’espace, une chanson un peu démodée mais qui lui paraissait convenir parfaitement à la situation. Elle appuya sur le bouton de la télécommande et se laissa emporter par la musique.
Ground control to Major Tom, can you hear me Major Tom, can you hear me?
Elle plongea dans ses pensées.
Sa vie au cours de ces quinze dernières années avait été plutôt compliquée. Elle avait passé un peu de temps à la fac mais s’était aperçue assez vite qu’elle ne s’intéressait à rien de particulier. Finalement, elle avait tout laissé tomber et trouvé un job alimentaire. Elle vivait seule, et se suffisait en général à elle-même. Elle évitait de se lier avec les gens, c’était trop compliqué, ils tombaient amoureux, ou avaient des enfants , ou vivaient en couple, ou parfois tout en même temps. Et puis les hommes, pour une raison obscure, lui faisaient un peu peur. Ou bien lui paraissaient ridicules avec leurs manœuvres d’approches stéréotypées. De toute façon, elle fuyait les histoires durables. Quelques jours, quelques semaines au mieux…
Quand la solitude lui pesait trop, elle se faisait inviter à une fête, ou allait passer la soirée dans un bar, ou draguait sur les sites de rencontre. Au moins c’était clair, sex for sex !
Elle sentait bien que quelque chose n’allait pas.
Un soir, elle avait parlé de ses problèmes existentiels à une de ses amies proches qui lui avait répondu plutôt crûment :
« En fait, tu n’aimes pas vraiment le cul ! »
Surprise, elle avait mis un peu de temps à répondre.
« – Si, enfin non, si, j’aime bien, mais je ne ressens jamais grand-chose.
– Comment ça jamais ? Tu veux dire jamais ?
– Non, enfin, pas vraiment, je ne sais pas. Je me sens toujours un peu en dehors. Comment dire ça ? J’aime bien être au lit avec un mec, mais c’est comme si mon corps était absent, comme si mes sensations se limitaient à mes doigts, ou à ma langue. »
Son amie avait réfléchi un moment.
« – C’est strange ton truc … Tu peux être plus précise ? »
Elle lui avait répondu qu’elle aimait bien la peau de ses amants, les caresser, les lécher, les masser, mais que lorsque les rôles étaient inversés elle n’appréciait pas particulièrement. Quant à la pénétration, ça ne la dérangeait pas mais ça ne la faisait pas grimper aux rideaux.
« – Tu penses que tu as toujours été comme ça ?
– Oui, je crois. Encore que … Il me semble que j’ai des souvenirs d’ado où je ressentais des trucs, là au creux de mon ventre, dans mon bassin, dans mon corps, quoi. Et depuis, rien du tout.
– Tu ne te caresses jamais toute seule ? »
C’était gênant comme question ! Mais au point où elle en était…Elle avait décidé de jouer le jeu.
« – Si bien sûr, ça peut m’arriver de temps en temps, surtout quand je n’arrive pas à m’endormir. Mais bon, je ressens un vague pic de quelque chose, sans plus. Ca me détend en fait, mais c’est à peu près tout.
– Si je te proposais un truc étrange, tu dirais oui ?
– Je ne sais pas, ça dépend.
– Tu veux essayer avec moi ? »
En dehors du fait qu’elle avait eu confirmation qu’elle était définitivement branchée hétéro, l’expérience lui avait plutôt paru plaisante. Plaisante mais assez perturbante. Le côté très exubérant de sa partenaire n’avait pas arrangé son problème…
Le bip d’alerte d’une des machines branchées au corps de l’homme la fit émerger de ses pensées. Elle corrigea un ou deux paramètres sur l’appareil d’anesthésie et rapidement l’électrocardiogramme redevint lent et régulier. Elle contempla un moment les muscles de la poitrine qui se soulevait au rythme de la respiration. Il était beau, comme dans ses souvenirs, sans doute avait-il continué à courir. Il avait gardé sa musculature de marathonien. Longueur et fermeté…
Quel gâchis !
Elle se demandait comment des pans entiers de sa mémoire avaient pu lui échapper pendant si longtemps.
Et réapparaitre si soudainement, à l’occasion d’une scène banale, dans une maison de retraite où elle était venue voir sa grand-mère. Alzheimer, celle-ci ne la reconnaissait même plus. Une dispute dans la chambre voisine, une infirmière dans le couloir qui avait frappé un pensionnaire, et tout était réapparu d’un bloc. Quinze ans après !
Elle avait vacillé sous le choc et le soir même avait avalé cinq ou six boites de tranquillisants.
Lorsqu’elle était sortie du service de réanimation, elle était entrée en guerre, avait quitté sans explication son compagnon du moment. Elle avait besoin d’être seule pour réfléchir et essayer de rassembler ses souvenirs.
Elle lui avait juste précisé : « C’est moi qui part, OK ? Je prends tout sur moi, tu n’as rien à te reprocher ». Il n’avait pas insisté.
Suite à un article lu dans un magazine, elle avait décidé de consulter un spécialiste de l’hypnose. Grâce à celui-ci, elle avait peu à peu autorisé sa mémoire à ouvrir les boites. Les boites dans lesquelles elle avait pour une simple question de survie enfoui tout ce qui s’était passé. Petit à petit, elle avait reconstitué tout le puzzle. Puis mené son enquête, jusqu’à ce soir.
Five, four, three, two, one. Check ignition and may God’s love be with you!
La musique s’était arrêtée entre deux morceaux. La pièce lui parut soudain trop éclairée. Elle éteignit tout ce qui n’était pas le scialytique, dont elle dirigea le faisceau vers le sexe de l’homme. Il n’y avait plus qu’une lumière un peu crue, quelques reflets métalliques sur les boites en inox, et les courbes qui s’affichaient en en temps réel sur les écrans de contrôle. Le ballon relié à l’anesthésie faisait un léger bruit, une sorte de petit chuintement que ne parvenait pas à couvrir la musique qu’elle avait maintenant réglé au minimum. Après Bowie, elle avait choisi la musique d’un film qui se passait dans l’océan, le bruit des vagues, du vent, les cris des dauphins et baleines, le symbole de la mer, de l’inconnu, de tout ce qui restait à découvrir. Et le souvenir de la plage.
Elle ouvrit les boites, ainsi que l’emballage d’une paire de gants stériles. Elle se lava soigneusement les mains avant d’enfiler le latex. Elle plia en quatre une compresse qu’elle enferma dans une pince dont l’extrémité était en forme de cœur, un vieux souvenir, et la trempa dans un liquide désinfectant qu’elle entreprit d’appliquer sur la peau de l’homme. Ses gestes étaient lents, comme si elle le caressait doucement, le ventre d’abord, puis l’intérieur des jambes. Elle faisait de petits cercles, s’attardait dans le pli des cuisses, remontait vers les testicules. Il dormait toujours et sur l’écran de contrôle, elle pouvait voir que la fréquence de son cœur ne variait pas.
Elle eut soudain envie de prolonger sa caresse, enveloppa le sexe de ses doigts et commença un léger mouvement de va et vient. Pas de réaction. Elle changea d’avis, comme si elle revenait à la réalité.
Elle prit dans une des boites une petite bombe aérosol et, toujours comme si elle le caressait, appliqua soigneusement la mousse sur les poils du pubis.
Enfin, elle ouvrit le rasoir, un très vieux coupe-chou qu’elle avait gardé de son grand-père, passa amoureusement le fil sur le cuir, comme elle l’avait vu le faire si souvent autrefois, et commença à le raser.
Au cours de ses nuits d’insomnie elle avait souvent imaginé la scène, et pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, il était important qu’il soit complètement imberbe.
Elle procédait avec application, ce n’était pas facile, la peau était fine, et la lame était vraiment effilée. Elle ne voulait ni coupure, ni goutte de sang. Elle avait confiance en elle.
Elle reprit la petite bombe de mousse à raser et s’attarda un moment sur le ventre, plat et musclé. A nouveau une pensée lui vint sur l’absurdité des choses.
Il était décidément très beau ! C’était dommage tout ça, vraiment dommage. Elle remonta vers la poitrine, dont les poils étaient doux et soyeux. Avec ses doigts, elle tendait la peau bronzée, faisait glisser le rasoir…
Elle se pencha doucement sur lui, le caressa de ses lèvres et brusquement le mordit. Il ne réagit pas, et ne réagit pas plus quand elle passa la mousse puis la lame sur les joues, le cou, tout autour de la pomme d’Adam. Elle faisait particulièrement attention, elle n’avait pas l’intention de le tuer.
Elle se sentait un peu étrange, comme en hypoglycémie. Il lui semblait retrouver dans son ventre et son bassin des sensations oubliées. Elle s’était agenouillée sur lui pour le raser, son sexe était au contact du sien, elle ondulait doucement, et sentait ses lèvres glisser sur le morceau de chair endormi. Elle ferma les yeux et reprit sa respiration, attendit de reprendre son calme. Des flashes explosaient dans sa tête, la fête sur la plage, le sable, la nuit, le bruit du vent et des vagues. La musique, la danse, son groupe de copains, lui qu’elle ne connaissait pas et qui accompagnait une de ses amies, l’alcool, les mots charmeurs, la drague, son corps musclé, le goût de sa langue, la douceur de ses mains. Le moment où il avait pénétré son sexe de ses doigts, où elle avait protesté, elle ne voulait pas, pas si vite, pas si brutalement. Le moment où il lui avait hurlé de se taire, le moment où il l’avait frappée. Le moment où il avait arraché ses vêtements, le moment où il s’était enfoncé en elle alors qu’elle se débattait et le suppliait. Le coup de poing qui l’avait assommée. Le moment où elle s’était réveillée, pleine de sable, le bas du ventre maculé par quelque chose de poisseux mélangé à du sang. Elle était rentrée chez elle, n’avait rien dit à ses parents, et depuis, avait tout oublié.
Ce soir c’était différent.
Elle se releva et sauta du lit.
Elle consacra à nouveau quelques minutes à aiguiser soigneusement la lame du rasoir puis s’assit sur le lit, en tailleur, entre les jambes de l’homme. Elle glissa une main entre ses cuisses et attrapa fermement sexe et testicules. Il y eut un frémissement. Surprise, elle jeta un coup d’œil sur les écrans de contrôle, mais non, tout était stable, il dormait parfaitement. Elle se pencha vers le sexe qui continuait à durcir entre ses doigts, s’amusa quelques minutes à le caresser de l’extrémité de sa langue, avant de le faire glisser entre ses lèvres, lentement d’abord, puis de plus en plus vite. Elle le sentait se tendre toujours plus contre son palais, jusqu’à ce qu’il explose en elle. Elle s’écroula sur le corps de l’homme. Les yeux fermés, elle chercha sa bouche et fit passer le liquide entre ses dents.
Elle avait l’impression que tout son corps vibrait. Elle l’embrassa longuement.
« Tu vois, ça aurait pu être une belle histoire. »
Brusquement, elle se redressa. Elle n’était pas là pour ça !
Elle saisit un des deux testicules, avec plus de douceur cette fois, tendit la peau et avec la lame effilée du rasoir fit une ouverture de quelques centimètres. Puis elle incisa la tunique, nacrée et plus épaisse, glissa une petite pince et tour à tour ligatura vaisseau sanguin et canal déférent. Un ou deux petits coups de ciseau pour parfaire le travail et le premier testicule atterrit dans le petit flacon de formol. Quelques minutes suffirent pour régler son compte au second de la même façon. Il ne restait plus qu’à refermer la peau.
Ses jambes fourmillaient, elle sentait que quelque chose montait, se concentrait au centre d’elle même, de son bassin, de son ventre, quelque chose sur le point de sortir de son corps. Elle ferma les yeux, serra le dernier point de suture, et ne put s’empêcher de crier tellement la sensation physique était forte. Tout son corps tremblait, semblait vouloir s’ouvrir en deux. Le souffle coupé, elle se laissa tomber sur le corps mutilé, pensa à nouveau de manière fugitive que tout aurait dû se passer autrement. Elle chercha fébrilement de la main le rasoir, se redressa, saisit le menton de l’homme, bascula sa tête vers l’arrière, et lui trancha la gorge. Le sang gicla des carotides sectionnées, c’était poisseux et chaud à la fois. A nouveau une onde monta de son bassin, à nouveau elle cria.
Une nouvelle vie commençait.
Il ne restait plus qu’à se débarrasser du corps.
….la suite Mr !!! J’adore
Bises